Le rangement : du pragmatisme à l’allègement de la charge mentale
Ce mois-ci, nous recevons Sophie Labat, une femme dont le métier est de ranger et d’organiser nos intérieurs. Assez éloignée de celle de Marie Kondo, son approche se veut moins radicale, plus douce, plus à l’écoute des besoins et des réalités de la vie de ses clients. Avec La Méthode de Sophie, elle prodigue ses conseils et services avec tact et bienveillance sans jamais perdre de vue qu’elle agit autant sur les intérieurs que sur les esprits des personnes qu’elle accompagne.
Sophie, vous avez opéré une reconversion dans le home organizing (ensemble de techniques visant à améliorer l’organisation de son logement) il y a trois ans, comment cela vous est venu ?
Sophie Labat : J’ai tout simplement découvert que je pouvais faire de ma passion pour le rangement et l’organisation mon métier. Avant, j’ai travaillé 20 ans dans le marketing, les sondages, les études de marché et on m’a toujours dit : « Sophie, mets-toi à ton compte ! ». Donc j’ai réfléchi à ce que je pouvais faire et cette activité s’est imposée à moi assez naturellement.
Et pourquoi le rangement ?
S.L. : A posteriori, je me suis dit qu’il y avait un faisceau d’indices dans ma vie qui m’a conduit à ce métier. Quand je vivais aux États-Unis, j’organisais les garages, on faisait des ventes, des vide-greniers… J’ai souvent aidé mes amis à organiser leur lieu de vie et d’ailleurs ils me disaient souvent : « Chez toi, Sophie, c’est très simple, dès qu’on veut quelque chose, on sait où le trouver. ». Donc pour moi, ça a pris tout son sens de me reconvertir dans le « home organizing ».
Vous avez suivi une formation ou vous vous êtes lancée en autodidacte ?
S.L. : Je me suis formée auprès de professionnels qui étaient déjà en place et qui proposaient des formations. Je me suis inscrite à la Fédération Francophone des Professionnels de l’Organisation. Je souhaitais donner un cadre à mon activité et rassurer mes clients. Parce qu’en réalité, il n’existe pas vraiment de formation certifiante.
Comment vous percevez votre métier aujourd’hui ?
S.L. : Au début, je voyais mon métier comme quelque chose de très fonctionnel, très pratique. Et en fait, depuis que je le fais, je me rends compte que l’aspect psychologique est très important.
C’est-à-dire ?
S.L. : 90% de mes missions sont liées à des problèmes de charge mentale. Ce sont souvent des femmes qui font appel à moi. J’ai pu intervenir dans le cadre de divorces ou de séparations difficiles et on fait face à des problèmes très concrets. On trouve par exemple des garages ou des pièces très encombrés et la personne n’arrive pas à désencombrer seule. Elle n’a pas le courage de vider toutes les affaires de son ex-mari par exemple, ou de se séparer des affaires de bébé de ses enfants qui ont grandi… En réalité, je rencontre souvent des personnes qui ont du mal à faire le deuil d’une page qui se tourne. C’est assez intense.
Comment les gens réagissent lorsque vous intervenez chez eux ?
S.L. : Un jour, après une mission réalisée chez une femme, elle a fondu en larmes de joie et de libération. Et ça, ça donne tout son sens à mon métier et à cette reconversion.
Est-ce qu’il y a un public que vous accompagnez plus particulièrement ?
S.L. : Je travaille de plus en plus auprès de seniors et de leur famille. La personne âgée est souvent un peu bousculée au crépuscule de sa vie. On lui dit : « Mamie, il faut que tu partes en maison de retraite » ou « Prends une maison plus petite, la tienne est beaucoup trop grande »… Et la personne est un peu perdue. Elle se demande ce qu’on va faire de ses affaires, elle a peur qu’on s’en débarrasse. C’est une vraie source d’angoisse. Et le fait d’avoir quelqu’un de neutre comme moi, ça aide beaucoup dans ces situations. Je lui apporte une écoute, de la bienveillance et j’essaie de l’impliquer au maximum dans la mission. Je ne suis pas là pour l’inciter à tout jeter, au contraire. Je veux l’aider à identifier ce qu’il/elle souhaite emporter. L’aider à trouver les objets qui lui font du bien.
On conseille à nos clients de mettre un peu d’ordre lorsqu’ils vendent leur bien. C’est toujours très délicat parce qu’on entre un peu dans l’intimité des personnes mais il faut que les gens puissent se projeter. C’est le premier coup d’œil qui va déclencher ou non l’émotion, le coup de cœur et donc la vente. Est-ce que vous conseillez des personnes dans leurs projets immobiliers ?
S.L. : J’interviens régulièrement sur la mise en valeur de biens par le rangement. Notamment lorsque les ventes s’éternisent. Comme vous le dites, quand on visite un bien et qu’il est archi encombré, on n’arrive pas à se projeter. Mon objectif c’est de rendre la visite agréable mais aussi de redonner une fonction aux pièces. Bien souvent, on rencontre des pièces un peu fourre-tout et c’est déceptif. C’est vraiment une grosse valeur ajoutée du home organizing que de redonner une fonction à une pièce en particulier.
En France on connaît désormais bien le home staging mais c’est vrai que le home organizing reste très marginal. Comment vous le décririez ?
S.L. : C’est arrivé en France il y a une dizaine d’années. Il y a une fédération qui s’est créée en 2017 : la FFPO (Fédération Francophone des Professionnels de l’Organisation). Nous sommes à peu près 180 entre la France, la Suisse et la Belgique. Autour de Bordeaux, nous sommes quatre ou cinq, bien reconnus. Donc oui, c’est très récent et le principal frein que l’on rencontre c’est que les gens ne savent pas qu’ils peuvent se faire aider pour ranger et organiser leur intérieur.
Vous insistez sur l’organisation des espaces. Finalement par la réorganisation vous allez offrir un service supplémentaire qui est presque de l’ordre de la thérapie…
S.L. : Mon but n’est pas de ranger le bazar, sauf évidemment dans le cadre de ventes immobilières. Quand j’interviens chez quelqu’un pour réorganiser son intérieur, on est amené à faire beaucoup de tri. Et on se rend compte que faire le tri peut faire un bien fou. Même chez les personnes un peu plus réfractaires au départ, on note une évolution. Au fur et à mesure de l’intervention, elles s’allègent, elles vont plus vite, elles vont plus loin dans le tri. Il y a un côté hyper satisfaisant à trier, libérateur même. Je m’entretenais récemment avec une psychologue spécialiste du deuil et on s’est rendu compte que nos activités étaient très complémentaires. Nous sommes entourés d’objets qui nous renvoient à des images positives ou négatives et le but du jeu c’est de conserver les objets qui nous font du bien. Vous avez une tasse ébréchée mais elle vous rappelle votre grand-mère que vous adoriez, super, on la garde ! Tant pis si elle ébréchée. En revanche, si vous avez sept plats à tarte qui vous viennent de la vieille tante acariâtre ou de votre belle-famille que vous ne voyez plus, ce serait peut-être judicieux de vous en séparer.
En réalité, vous aidez les personnes à faire des choix, à sauter le pas…
S.L. : Absolument. C’est une forme de coaching. Ce n’est pas moi qui prends la décision de faire sortir des objets de chez eux, ce sont eux qui prennent la décision. Je ne fais que les accompagner, leur poser des questions et pointer des réalités parfois un peu absurdes.
Vous avez un exemple en tête ?
S.L. : Un exemple flagrant, ce sont les dressings. Le but du jeu c’est de tout sortir de l’armoire et de se rendre compte de la montagne de choses que l’on a chez soi. Parfois, il reste même les étiquettes sur des vêtements achetés depuis Mathusalem. Et bien le dressing contribue aussi à la charge mentale. Un exemple, je suis allée chez une cliente qui avait pris beaucoup de poids et dans son dressing qu’elle ouvrait tous les jours, elle voyait ses anciennes pièces en 36 devant elle. Tous les jours, ça lui rappelait de manière plus ou moins consciente qu’elle n’avait plus le même corps qu’avant. Et se dire constamment « Mon dieu, il faut que je maigrisse, je n’y arrive pas… », ça alourdit considérablement la charge mentale.
Sur l’ensemble de vos clients, vous est-il déjà arrivé d’avoir des clients qui n’ont pas voulu ou pas réussi à faire le pas ?
S.L. : J’ai eu une fois cet été, le cas d’une dame avec qui il y a eu un petit malentendu. Elle s’attendait à ce que je range mais sans trier. Ça a été tellement pénible pour elle qu’à l’issue du premier jour d’intervention, je lui ai proposé qu’on s’arrête là et qu’elle me rappelle quand elle se sentirait prête. Mais en réalité, ces situations arrivent très rarement parce que quand je vais faire un devis chez un client, le tri est une des conditions numéro un pour que j’intervienne. Qu’il soit conséquent ou non d’ailleurs, peu importe. Simplement, je viens avec des solutions mais je ne peux pas pousser les murs.
Vous travaillez avec des agents immobiliers, des brocanteurs… en fait, vous avez tissé tout un réseau de partenaires autour de vous !
S.L. : Effectivement, je travaille très peu seule finalement. Même dans des réorganisations pures de placards ou de pièces, il y a souvent besoin d’un peu de bricolage, de monter une étagère, de démonter un meuble, etc… Donc je travaille beaucoup avec un bricoleur qui m’aide pour ces tâches mais aussi pour le débarras des encombrements. J’ai des partenariats avec des déménageurs. Et puis, comme je suis très portée sur le don, j’ai également un tissu de brocanteurs et d’associations autour de moi à qui je m’adresse pour réemployer ou recycler telle ou telle pièce dont mes clients se séparent. Je connais les besoins spécifiques de chacun d’entre eux et je leur donne les objets qui sont susceptibles de les intéresser. Parce que ce qui me tient à cœur, c’est de valoriser au maximum les objets qui sortent de chez les gens. La déchetterie c’est vraiment en dernier recours.
Comment ça se passe chez vous ? Est-ce que vous êtes victime du syndrome du cordonnier ? Et puis, il y a ranger et ranger, une maison il faut qu’elle vive…
S.L. : Alors chez moi c’est organisé ! J’ai trois garçons de quatre, huit et onze ans. Comme tous les enfants, ils mettent du bazar mais s’ils retournent leurs chambres, en cinq minutes c’est rangé et c’est rangé par eux. Pourquoi ? Parce qu’ils ont des meubles adaptés, des contenants suffisamment grands pour mettre tous les jouets d’un coup. Quand ils s’habillent le matin, c’est pliage à la verticale. Donc quand ils prennent un T-shirt, il n’y a pas toute la pile qui s’écroule. Il y a plein d’astuces d’organisation qui sont mises en place dans la maison et que je teste auprès d’eux. Ils sont très fiers de les partager d’ailleurs. Donc, chez moi, ça vit ! D’ailleurs je déteste les endroits aseptisés, les endroits « instagramables ».
Est-ce que vous avez des « recettes maison », des solutions qui s’appliquent à toutes les situations quand vous intervenez chez un client ?
S.L. : Oui, il y a des principes d’organisation qui sont valables pour tout le monde et j’aime bien les enseigner à mes clients. Par exemple, on considère qu’un objet est bien organisé et a bien trouvé sa place, quand il ne faut pas plus de trois gestes pour le prendre ou le ranger. Concrètement, les manteaux des enfants qui traînent. Les trois-quarts des placards d’entrée sont à portes coulissantes avec des cintres placés à hauteur d’adulte. Donc quand l’enfant rentre de l’école, il jette son cartable, il enlève son manteau, il doit ouvrir un placard, qu’il se batte avec tous les vêtements qui s’y trouvent pour trouver un cintre, enfiler son manteau sur le cintre, essayer d’accrocher le cintre à la tringle… Bref, on est déjà à sept ou huit gestes. Alors que si vous installez une patère à côté de la porte d’entrée, et bien ça change tout. En deux gestes, il accroche son manteau !
Sophie, vous n’échapperez pas à la question que nous réservons à tous nos invités… Quelle est votre définition de l’art de vivre ?
S.L. : Mon art de vivre ce serait tout simplement se sentir bien chez soi, dans un environnement où tout est fluide, simple.
La Méthode de Sophie
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