Rencontre avec Béatrice Blanchard, designer inspirée

Crédit photo : Nicolas Scordia

La création a ses raisons que la raison ignore. Voilà l’enseignement que l’on pourrait tirer de notre entretien avec Béatrice Blanchard. Designer engagée, Béatrice sculpte la matière et compose le volume. Longtemps tiraillée entre l’oeil de l’artiste et la main de l’artisan, elle a finalement réglé cette question et tracé son propre sillon. Son univers, frappé au coin de la malice, mêle curiosité, technique et conscience environnementale.

Bonjour Béatrice, pouvez-vous nous raconter votre parcours ? D’où venez-vous ?

Béatrice Blanchard : Je suis originaire de Melle dans les Deux-Sèvres. J’ai étudié les arts plastiques au Lycée Marguerite de Valois à Angoulême avant de poursuivre mes études à  l’Université de Bordeaux 3. Et puis j’ai très vite commencé à travailler.  J’ai suivi une formation de maître à disciple à l’ancienne. Je suis allée travailler pour un artiste spécialiste de la peinture dite flamande dans le fin fond des Vosges. L’exercice récurrent consistait à reproduire l’une de ses œuvres format carte postale à celui d’une fresque. Mon travail était la reproduction de l’œuvre à l’échelle finale, poser les 15 premières couches de glacis et laisser l’artiste finaliser en signant. J’ai tenu un an !  Là-bas, j’ai pu affûter mon regard , préciser mon trait de crayon, j’ai appris à  peindre,  proportionner… Forte de cette expérience, je suis revenue à Bordeaux où j’ai participé à la restauration du Grand Théâtre pendant 2 ans. 

Et vous n’avez pas eu l’envie d’épouser une carrière de peintre ? 

B.B. : Alors oui mais si on pouvait éviter d’en parler ça m’arrangerait… Ce n’était pas très bon ! (rires) J’avais un style « surréalistico-érotico-je ne sais pas quoi » (rires). En fait, je pense que j’ai appris la technique trop précisément et que ma créativité en a souffert. 

Vous avez une particularité, c’est que vous travaillez la feuille d’or…

B.B. : J’ai un frère qui est professeur à l’école Boulle et qui m’a montré très tôt la technique de la dorure à la chaîne. J’ai croisé de grands univers et j’ai rapidement déménagé à Paris. Je menais des chantiers, je montais des équipes et j’ai beaucoup voyagé à l’étranger. Je travaillais pour des clients variés : particuliers, hôtels, ambassades… Bon j’ai pu voir beaucoup de choses mais tout n’était pas toujours du meilleur goût.

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Et comment en êtes-vous arrivé au design ? 

B.B. : J’ai voulu arrêter la dorure par conscience écologique et sociale. On sait qu’il y a beaucoup d’enfants qui travaillent dans les mines d’or et on est en train d’épuiser le stock d’or sur la planète. Le meilleur stock finalement, c’est nous. Ce sont nos fonds de tiroirs avec nos colliers, nos bagues et nos bijoux qui traînent et que l’on pourrait refondre. A cette époque, j’ai également souhaité mélanger ma création et la dorure qui était un savoir-faire que je connaissais bien. J’ai donc commencé à créer des objets design et j’ai ouvert une boutique à République dans les années 2010. Ma production n est pas  industrielle mais plutôt une production que l’on appelle « collectible » : des pièces uniques ou des petites séries.

Pourquoi ce choix ? 

B.B. : Quand tu es indépendant, que tu n’as pas d’éditeur, tu es sur tous les postes à la fois pour créer un objet : design , fabrication, finitions, communication, vente,etc…. Ça peut être une charge assez lourde et ça devient de fait compliqué de réaliser des séries de plus de 10 ou de 15.

En tant que designer, vous vous considérez plutôt comme une artiste ou une artisane ? 

B.B. : En France, jusqu’à il y a peu, il fallait mettre des étiquettes aux gens. Les ranger dans des cases et que chacun reste dans son couloir de nage. Au contraire, je pars du principe qu’on a tous besoin les uns des autres et qu’on doit plutôt tendre vers plus de transversalité dans nos pratiques. Petit à petit, les mentalités évoluent. 

Nous avons remarqué que vous aimiez particulièrement travailler les matières, les mélanger, les associer…

B.B. : Oui, j’aime les matières. Quand j’ai voulu insérer de l’or et notamment de l’or blanc dans mes objets, j’ai réfléchi à la création d’une matière que j’ai appelée la « galuchette » en référence au « galuchat » (un cuir de poisson cartilagineux utilisé en ébénisterie, gainerie et en maroquinerie).  En 2012, j’ai notamment créé une table dominos : The Modular 28 « Fair ». Je l’ai conçue de manière la plus écoresponsable possible et elle comprend trois matières principales : le chêne fumé, un plastique orange recyclable et de l’or blanc. Elle est composée de 28 plateaux d’un mètre sur 50 cm où se succèdent ces trois matières et couleurs, et sur tout le contour, j’ai apposé ma « galuchette ».

The Modular 28 « Fair », Béatrice Blanchard

Il vous a fallu combien de temps pour éditer une pièce comme celle-ci ? 

B.B. : Entre la conception et la réalisation, j’ai dû mettre une année… Il y a au moins 400 heures de dorure à la feuille sur cette table. 

Comment vous fournissez-vous en or blanc ? 

B.B. : Chez un batteur d’or. Il n’en reste plus qu’un en France. Enfin pas tout à fait en France puisqu’il est à la frontière suisse bien sûr (rire). Quand il bat ses feuilles et qu’il les met dans un carnet, il les découpe et refond les chutes. Pour la table dominos, je lui ai demandé de refondre ces chutes pour avoir un or blanc recyclé de 13 carats très exactement. Donc c’est grâce à mon batteur d’or que mon or est plutôt éthique.

Et qui a fait l’acquisition de cette pièce unique ? 

B.B. : Personne ! Elle n’a pas encore trouvé son acquéreur. Récemment elle a même été exposée au Bon Marché à Paris.

Et vous n’avez pas eu la tentation de passer par une galerie ou un éditeur design ? 

B.B. : En réalité, la difficulté de travailler avec un éditeur, c’est qu’il veut souvent mettre sa touche dans l’objet qui va être produit. Cette pièce est beaucoup trop finie pour eux.

D’où vient votre inspiration ?

B.B. : Tout peut m’inspirer. Je suis capable de partir d’un chewing-gum et d’en faire une œuvre d’art. La matière et le volume, voilà ce qui m’inspire. Je suis également très attirée par le jeu et l’absurdité. J’aime les choses qui parfois n’ont aucune utilité pratique mais nous questionnent. Dans cet esprit-là, j’ai pu faire une chaise sur laquelle on n’a pas le droit de s’asseoir. Tout mon travail est très sculptural finalement. 

Y a-t-il un designer qui vous a particulièrement marqué ?

B.B. : J’ai toujours adoré Charlotte Perriand. On n’a rien fait de mieux depuis. Dans mon design passé, je ne m’attachais pas forcément à l’usage. L’esthétique primait. Mais Perriand avait une réflexion très poussée d’un design d’usage. Un design pour faciliter le travail des femmes notamment. Le fait d’ouvrir la cuisine sur le salon, ça vient d’elle par exemple. Plein de petits détails qui font que la vie est plus simple. Pour moi, c’est ça le design !

Vous qui les aimez particulièrement, quelles sont vos matières de prédilection en ce moment ?

B.B. : Le métal, le tubulaire, le bois – bien évidemment – les matières minérales comme la céramique. 

Vous aimez travailler les matières et volumes mais vous aimez également transmettre. Vous donnez des cours à des élèves en design…

B.B. : Oui, je donne des cours de design dans une école d’architecture d’intérieur. Je leur fait explorer des pistes qui ne sont pas forcément les miennes. Je les emmène dans un FabLab où ils apprennent à mêler, travail à la main et outils numériques (CNC, Laser ? Impression 3D …). Ça m’intéresse d’amener du numérique dans le savoir-faire artisanal ou de l’artisanal dans le numérique. Certains artisans ont encore très peur du numérique mais il nous apporte des solutions pratiques pour moins consommer de matériaux par exemple. Ce rapport à la frugalité m’intéresse. 

Avez-vous un objet que vous aimez particulièrement travailler ? Un fétiche ?

B.B. : Je ne fais jamais le même objet, c’est ça le truc ! J’aime réfléchir sur un nouvel objet, une nouvelle fonction, une nouvelle matière… Donc non, je n’ai pas vraiment d’objet fétiche.

Est-ce qu’il y a une part d’improvisation dans votre travail ? Vous partez d’un matériau sans savoir où vous allez ? Comment travaillez-vous ?

B.B. : J’ai un carnet qui me suit tout le temps et sur lequel, dès que j’ai une idée qui me traverse l’esprit ou dès que je vois quelque chose qui me plaît, je prends des notes. Je peux le re-dessiner, ça me permet de m’inspirer, de réinterpréter. Et puis je peux m’y replonger aussi, aller chercher une vieille idée qui était tombée en désuétude depuis deux ans…

Sur quels sujets travaillez-vous en ce moment ?

B.B. : En ce moment, je suis plus en recherche de matières éco-sourcées, recherche d’informations sur le biomimétisme, recherche d’un design plus en adéquation avec la nature. Et puis ce qui m’intéresse particulièrement en ce moment, c’est le travail collectif. J’ai mis mon égo de côté ces dernières années et je veux m’investir dans le collectif. Ça va dans le sens de la planète, ça touche aux questions du recyclage et du réemploi. C’est très stimulant. 

Molecular Light, Béatrice Blanchard

La préservation des ressources est au cœur de votre travail d’artiste…

B.B. : Oui, c’est un enjeu qui me tient à cœur. En ce moment, je suis également responsable RSE d’une entreprise qui fait du décor événementiel pour des entreprises de luxe comme Vuitton, Hermès ou Dior. Ça peut être pour la Fashion Week ou pour leurs boutiques. C’est un univers très marqué par la saisonnalité. Mais que deviennent ces décors une fois démontés  ? J’ai calculé que ça représentait 46 tonnes de déchets qui partaient à la benne tous les ans. Donc je suis en train de réfléchir à la création d’une boutique qui permettrait aux étudiants, designers, aux makers, à tous les gens qui le souhaiteraient, de pouvoir récupérer cette matière à peu de frais. 1 euro le kilo par exemple !

Si vous n’avez pas forcément de « fétiche » dans votre travail, nous, nous avons une question fétiche : qu’est-ce que l’art de vivre pour vous ? 

B.B. : Je crois que l’art de vivre auquel j’aspire, c’est l’équilibre parfait entre le travail et le temps pour soi. Prendre du temps pour soi, se ressourcer pour justement régénérer sa créativité. Et puis, se nourrir de tout ce qui nous entoure : d’une rencontre, d’un paysage, d’un objet… 


Béatrice Blanchard

Designer

Instagram : @beatriceblanchard_design

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