Rencontre avec Laurence Equilbey, cheffe d’orchestre
Cheffe d’orchestre de renommée internationale, Laurence Equilbey nous a accordé un entretien pour évoquer sa passion, son métier et le rapport qu’elle entretient avec son lieu de vie.
Laurence, vous êtes l’une des rares femmes chefs d’orchestre de renommée internationale. Quel a été votre parcours pour en arriver là ? Est-ce que c’était votre rêve d’enfant ?
Laurence Equilbey : J’ai commencé la musique comme pas mal d’enfants à la maison. Ma mère faisait du piano donc j’en ai joué. Mais surtout, j’ai été pensionnaire très petite et c’est là où je me suis vraiment réfugiée dans la musique. C’était une sorte de jardin secret. C’est là que je me suis découvert cette passion. Et puis après, cheffe d’orchestre, c’est venu plus tard. Dans le cadre de mes études, j’ai pu faire un peu de direction d’orchestre et là j’ai senti quelque chose. C’est difficile à expliquer. Pourquoi devient-on danseur ? Pourquoi devient-on peintre ? A un moment vous ressentez une sorte de vibration, une sorte d’évidence. Au départ, c’était une attraction non raisonnée.
Quelles étapes, quels échelons avez-vous dû gravir pour construire une carrière comme la vôtre ?
L.E. : Tout d’abord, dans les études de chef d’orchestre, il faut que vous meniez un ou deux instruments à haut niveau pour maîtriser les instruments d’orchestre. Il y a trois familles principales d’instruments : les vents, les cordes et les percussions. Il faut vraiment beaucoup pratiquer ces instruments pour les comprendre et cerner leurs problématiques.
Et quels instruments avez-vous choisi ?
L.E. : Le piano, la flûte traversière et le chant. Mais en parallèle, il faut énormément étudier l’écriture : harmonie, contrepoint, comment la musique se construit, comment elle est écrite, comment on peut l’analyser… C’est important pour le chef d’orchestre d’avoir la « big picture » et d’être en capacité de donner des clés aux musiciens qui restent sur leurs lignes. Et puis il y a un aspect qui m’intéresse beaucoup également, comme le chef d’orchestre est chargé de faire la synthèse de toutes les interprétations des musiciens, c’est important de pouvoir proposer une idée, une ligne. Pour y parvenir, c’est beaucoup d’étude, de contexte. Il faut essayer de comprendre ce qu’a voulu dire le compositeur.
Et combien de temps vous a-t-il fallu pour parvenir à maîtriser cela ?
L.E. : Une dizaine d’années, voire quinze ans. C’est assez long parce que ce sont des études difficiles et techniques. Bien sûr, il y a toujours quelques petits prodiges mais globalement, il vous faut un certain temps avant de pouvoir entrer dans le métier. Et c’est là que les embûches commencent ! Ce n’est pas facile de trouver sa place. Il faut être à l’affût des opportunités, travailler et continuer à grandir. Et puis il y a aussi des chefs qui créent leur propre phalange [orchestre, NDLR] pour être plus libres de leurs choix et pouvoir explorer de nouveaux sentiers. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait avec le département des Hauts-de-Seine en créant Insula orchestra.
Les femmes se sont-elles fait une place dans le métier ou vous restez encore marginales ?
L.E. : En femmes « programmées », nous ne sommes pas beaucoup, un peu moins de 10%. Mais dans ma génération, quand j’ai commencé ma carrière dans les années 2000, c’était encore moins. On ne devait représenter qu’1% des chefs d’orchestre. Donc les choses s’améliorent.
Vous avez dû vous battre pour vous faire une place dans ce milieu très masculin ?
L.E. : En réalité ce qui manque, ce sont les opportunités. On n’a pas tant à se battre, personne ne nous propose rien. Personnellement, je suis très heureuse de mon sort, mais c’est vrai qu’à niveau égal, une femme à beaucoup moins d’opportunités qu’un homme pour construire une carrière. Quand j’ai commencé les musiciens – voire même les musiciennes – étaient rétifs à l’idée d’être dirigés par une femme. Mais les mentalités évoluent et les femmes sont plus armées aujourd’hui pour avoir confiance en elles et ne pas souffrir de procès en illégitimité. Donc ça bouge un peu, mais ça bouge très peu.
Quel instrument vous bouleverse le plus ?
L.E. : Je pense que c’est le violoncelle.
Et quel compositeur vous touche le plus ?
L.E. : Alors ça dépend si je le dirige ou si je l’écoute. En tout cas, j’aime beaucoup Bach, mais ce n’est pas un compositeur de direction même si c’est très profond. Un de ceux qui me touchent le plus, ce serait Schumann. Et celui que je préfère diriger, c’est Beethoven.
Une symphonie en particulier ?
L.E. : Je dirai les symphonies trois, cinq, sept, neuf !
Comment dirige-t-on un orchestre ? Quel travail, virtuosité, diplomatie cela exige ?
L.E. : Une des difficultés dans ce métier c’est d’abord l’art de répéter. C’est une vraie technique qu’il faut maîtriser. Ensuite il faut apporter une vision et y mêler celle des musiciens. C’est un travail à plusieurs et ça nécessite donc beaucoup de diplomatie. C’est d’ailleurs une qualité importante puisqu’on n’est plus du tout à l’air des chefs très autoritaires comme pouvaient l’être Arturo Toscanini [chef d’orchestre italien du XIXe-XXe siècle, NDLR] ou Sergiu Celibidache [chef d’orchestre roumain du XXe siècle, NDLR]. Bien sûr il faut une autorité naturelle par la compétence mais il faut veiller à rester très diplomate pour faire passer ses messages. Et puis il faut être très exigent. Les musiciens vous remercient toujours de ça. En réalité il faut trouver l’équilibre entre être un leader inspirant et laisser les autres s’exprimer.
Combien de temps faut-il pour monter un concert ou un spectacle ?
L.E. : En général, pour monter un concert, chacun a déjà travaillé de son côté mais il faut une petite semaine de répétitions. Pour un spectacle mis en scène c’est plus long. Il peut y avoir des répétitions plateau pendant trois semaines. Pour vous donner un exemple, je vais monter Médée à l’Opéra Comique en février prochain, cela me prendra quatre semaines.
Avec Insula orchestra, vous êtes basés à la Seine Musicale…
L.E. : Tout à fait, les créations scéniques se font toujours à la Seine Musicale. On essaye d’en faire deux par an. On y dispose de bureaux, de salles de répétition et puis de l’auditorium avec une fosse d’orchestre pour nos représentations. Et puis avec Insula Orchestra, on essaie de s’adresser aux jeunes. On essaye de travailler nos visuels et notre communication pour les mobiliser. Le visuel et la durée sont des portes d’entrée importantes vers la musique classique.
Comment vous y prenez-vous pour les faire venir ?
L.E. : Par exemple, nous avons monté avec le réalisateur de cinéma Antonin Baudry, le projet Beethoven Wars. C’est un spectacle qui réunit la musique classique et l’univers du manga. Il s’agit d’un projet immersif qui s’appuie notamment sur la réalité virtuelle et qui met en scène deux partitions inconnues de Beethoven [Le Roi Étienne et Les Ruines d’Athènes, NDLR].
Comment avez-vous eu l’idée de monter cette forme particulière ?
L.E. : En réalité, mon idée de départ c’était comment jouer ces deux partitions de Beethoven ! Et puis un jour, dans le train qui me ramenait d’un concours de dessin manga à Angoulême auquel j’avais assisté, je me suis dit que les valeurs du manga étaient très proches de celles de Beethoven : la paix, l’importance des arts… C’est parti comme ça !
Évoquons désormais votre lieu d’habitation. Vous voyagez beaucoup à travers le monde, votre lieu de vie est-il votre refuge ? Un lieu d’inspiration ou simplement un pied-à-terre de passage ?
L.E. : C’est plutôt un lieu d’inspiration. J’ai la chance d’habiter à Montmartre et d’avoir un appartement qui donne sur tout Paris. C’est très clair, lumineux, il y a de beaux volumes et c’est surtout calme. C’est parfait pour étudier et chaque fois que j’ai une réunion artistique importante sur un projet, je la fais chez moi parce qu’il y a de bonnes ondes d’inspiration.
Vous êtes plutôt maison ou appartement ?
L.E. : Ça dépend. En règle générale, j’étudie beaucoup l’été donc c’est plutôt la maison, la nature, etc. Mais sinon je suis plus ville, pour l’énergie qu’elle dégage.
Si vous deviez vous mettre au vert pour travailler où iriez-vous ?
L.E. : Vous savez, pour étudier, il me faut un clavier, une grande table… donc je ne peux pas travailler partout. Si j’ai besoin de réfléchir et me ressourcer dans un cadre de vie plus serein, j’ai deux endroits de prédilection : le Luberon et la baie du Mont-Saint-Michel.
Qu’est-ce qui a déclenché le coup de cœur pour votre lieu de vie ?
L.E. : J’habitais rue des Abbesses et je cherchais à acheter. Un ami qui a une galerie de peinture m’a appelé en me disant : « Je suis chez toi, viens vite voir ! ». J’y suis allé et effectivement, je suis tombée sous le charme. Il y avait beaucoup de lumière, de la hauteur sous plafond, des arbres… C’était une combinaison du calme et de l’énergie, de la nature et de la ville.
Quel est l’objet dont vous ne vous sépareriez jamais ?
L.E. : Je suis une dingue des tables. Je suis plutôt design contemporain mais j’ai acheté une petite table ancienne il y a très longtemps et elle me suit partout. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un fétiche mais c’est un meuble qui rappelle le passé que j’aime bien avoir chez moi.
A quoi ressemblerait votre maison idéale ?
L.E. : Forcément contemporaine, avec une très belle vue, des volumes incroyables et surtout une maison dans laquelle on peut vivre à plusieurs, sans se gêner.
L’art de vivre pour vous, ça représente quoi ?
L.E. : En Europe et en France, on a quand même la chance de pouvoir bien vivre. Après, j’aime bien aller au bout des choses donc prendre soin d’aménager ma maison comme je l’entends. Donc pour moi l’art de vivre ce serait d’essayer de faire en sorte que la beauté vous suive un peu partout. Ce n’est pas forcément une question d’argent en fait, c’est plutôt une question de concentration et d’être attentif sur ce qui peut être profond et beau. Par exemple, si vous faites un dîner avec des amis, c’est le soin que vous prenez à réfléchir à ce qui pourrait faire plaisir à l’autre, ce qui pourrait permettre de rendre un moment savoureux, c’est précieux.
Que vous inspire De La Cour Au Jardin ?
L.E. : J’aime bien ces agences qui font attention à la qualité des biens. Vous essayez de faire remonter des biens spécifiques qui ont un charme particulier ou qui ne sont pas dans la norme habituelle. C’est toujours intéressant, cet effort de recherche.
Laurence Equilbey
Cheffe d’orchestre
Site internet
www.insulaorchestra.fr
Pour retrouver toutes les actualités de Laurence Equilbey
www.laurenceequilbey.com